Rendre des comptes en matière d’éducation
Le Rapport mondial de suivi sur l’éducation 2017-2018 évalue le rôle de l’obligation de rendre des comptes au sein des systèmes d’éducation dans le monde, en vue d’atteindre le quatrième objectif de développement durable (ODD 4) : « Assurer à tous une éducation équitable, inclusive et de qualité et des possibilités d’apprentissage tout au long de la vie ».
Le nombre croissant de personnes accédant à l’éducation, ainsi que les sous-performances constatées en matière d’apprentissage, ont mis en évidence certaines défaillances chroniques des services et de la qualité de l’enseignement. Ces difficultés, auxquelles s’ajoutent des budgets d’éducation serrés et l’importance croissante accordée au rapport qualité/prix dans le monde, ont incité les pays à chercher des solutions. Une plus forte obligation de rendre des comptes arrive souvent en tête de liste.
La responsabilité peut être une vertu, désignant la qualité d’être fiable et sachant répondre de ses actes. Aux fins du présent rapport, la responsabilité s’entend comme un mécanisme. Pour des raisons juridiques, politiques, sociales ou morales, les gouvernements et les autres acteurs de l’éducation sont tenus de rendre des comptes sur l’exercice de leurs responsabilités.
Pour se concrétiser, les projets ambitieux en matière d’éducation doivent être portés par une multiplicité d’acteurs aux rôles souvent croisés. Il est donc rare que les responsabilités reviennent à un seul acteur. Comme l’explique ce rapport, la réussite de l’ODD 4 et la garantie d’une éducation « équitable, inclusive et de qualité » résultent souvent d’une entreprise collective dans laquelle tous les acteurs s’efforcent d’assumer ensemble leurs responsabilités (figure 1). Pour y parvenir, il est nécessaire de faire converger les intérêts politiques et économiques. Les politiques et les acteurs de l’éducation sont en lien avec le monde qui les entoure.
Il est tout aussi important que les acteurs puissent évoluer dans un nvironnement porteur et disposer des outils adéquats pour assumer leurs responsabilités, faute de quoi la réussite ne sera pas au rendez-vous. Le manque d’informations claires, de ressources et de capacités entravera leurs efforts. Les politiques visant à améliorer les pratiques existantes et à favoriser une culture de la bienveillance plutôt que du reproche seront certainement plus à même de mettre en place des systèmes éducatifs équitables, inclusifs et de qualité.
La garantie d’une éducation équitable, inclusive et de qualité résulte souvent d’une entreprise collective dans laquelle tous les acteurs s’efforcent d’assumer ensemble leurs responsabilités
La réussite des grands objectifs de l’éducation exige une collaboration et une communication entre les acteurs. Le public accordera sa confiance et son soutien, à condition que les processus et les objectifs soient perçus comme légitimes et réalisables avec les ressources disponibles. Tout manque de confiance du public finira par entraîner une démobilisation des citoyens et par entraver les droits des parents. Il est probable que les réformes progresseront lentement et resteront superficielles si la méfiance règne au sein du système. L’instauration de la confiance nécessite d’engager de nombreuses parties prenantes pour élaborer ensemble des objectifs communs et de reconnaître l’interdépendance des acteurs en mutualisant les responsabilités.
Plusieurs tendances sociopolitiques ont contribué à favoriser l’obligation de rendre des comptes dans les politiques d’éducation. La gestion des systèmes éducatifs est devenue de plus en plus complexe avec l’essor rapide de l’éducation au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Les gouvernements des pays à revenu élevé sont alors notamment passés d’une gestion des ressources à une gestion des résultats, dans l’éducation et dans d’autres domaines. Cette évolution s’est accompagnée de la mise en place de systèmes de mesure et d’instruments normalisés permettant de comparer les collectivités locales et les établissements. On a également assisté à un phénomène de décentralisation permettant aux autorités locales d’avoir une meilleure prise sur les services d’éducation. Le gouvernement central a conservé la responsabilité du financement, du suivi et de la réglementation. Par ailleurs, l’insatisfaction vis-à-vis de l’enseignement public dans certains pays a favorisé la diversification des services d’éducation et l’apparition d’un « marché » de l’éducation. Les parents pouvaient ainsi sélectionner l’établissement de leur enfant en fonction des classements publiés dans l’intention de stimuler la concurrence et d’optimiser la qualité de l’enseignement. La mise à disposition d’informations a également incité les citoyens à exiger davantage de transparence.
L’obligation de rendre des comptes doit être considérée comme un moyen et non
comme une fin. Elle ne constitue pas le but ultime de l’éducation, mais un outil qui nous permettra d’atteindre les cibles de l’ODD 4
Certains pays à revenu élevé ont commencé à mettre en place des politiques relatives à l’obligation de rendre des comptes afin de mesurer et d’évaluer la performance des établissements selon le taux de réussite aux examens. Les sanctions et les récompenses attribuées aux établissements ont désormais tendance à se fonder davantage sur les résultats scolaires. Ces derniers sont également utilisés pour évaluer la performance des personnels enseignants et la qualité générale de l’établissement.
Cependant, pour que la démarche de reddition de comptes favorise une éducation plus inclusive, équitable et de meilleure qualité, elle devra privilégier des approches modulables permettant d’exploiter intelligemment les données disponibles. Un mécanisme de reddition de comptes donné pourra fonctionner dans un certain contexte et pour certains aspects éducatifs particuliers, mais avoir des retombées négatives ailleurs.
L’obligation de rendre des comptes est certes cruciale pour améliorer les systèmes éducatifs. Certaines hypothèses doivent toutefois être remises en question. L’obligation de rendre des comptes ne se suffit pas à elle-même ; elle doit être considérée comme un moyen et non comme une fin. Elle ne constitue pas le but ultime de l’éducation, mais un outil qui nous permettra d’atteindre les cibles de l’ODD 4.
Le Rapport mondial de suivi sur l’éducation 2017-2018 passe en revue les données mondiales relatives aux divers mécanismes – souvent interdépendants – visant à demander des comptes aux principaux acteurs de l’éducation, l’efficacité de la contribution de ces mécanismes à la réalisation de l’ODD 4, ainsi que les environnements porteurs nécessaires aux acteurs pour assumer leurs responsabilités individuelles.
Avant-propos
Aujourd’hui, 264 millions d’enfants et de jeunes ne sont pas scolarisés dans le monde. Nous devons nous mobiliser pour surmonter cet échec, car l’éducation constitue une responsabilité partagée et seule une action collective nous permettra de progresser sur le long terme. Cette démarche est indispensable à la réussite du quatrième objectif de développement durable (ODD 4) du Programme de développement durable à l’horizon 2030. Les gouvernements, les établissements et les enseignants doivent jouer un rôle de premier plan et agir en étroite collaboration avec les parents et les élèves eux-mêmes.
La réussite de notre action suppose de délimiter clairement les responsabilités et d’être capables de repérer les éventuels points de rupture et, le cas échéant, de trouver des solutions adaptées. Autrement dit, nous devons rendre des comptes. Cette notion constitue le thème central du présent Rapport mondial de suivi sur l’éducation, dont la conclusion est on ne peut plus évidente : le manque d’obligation redditionnelle risque de mettre en péril les progrès en matière d’éducation et de laisser le champ libre à des pratiques préjudiciables qui s’enracineront dans les systèmes éducatifs. Tout d’abord, l’absence de plans d’éducation clairs élaborés par les gouvernements risque de brouiller les rôles ; les promesses resteront vaines et les politiques ne bénéficieront d’aucun financement. Les systèmes publics se trouvent parfois dans l’incapacité de fournir une éducation de qualité suffisante et sont alors supplantés par des acteurs à but lucratif agissant hors de toute réglementation. Le cas échéant, ce sont les populations marginalisées qui en subissent les conséquences. Il incombe en premier aux gouvernements de respecter le droit à l’éducation. Toutefois, dans presque la moitié des pays, les citoyens ne peuvent pas faire entendre leurs revendications, car il n’existe aucune voie de recours pour faire valoir ce droit.
Chacun de nous a un rôle à jouer en faveur de l’éducation, à commencer par les citoyens. Ces derniers mettent en évidence le manque de qualité et d’équité de l’éducation, avec l’aide des organisations de la société civile et des instituts de recherche. Dans un certain nombre de pays, les mouvements étudiants ont souvent contribué à faire passer des politiques visant à rendre l’éducation plus équitable et abordable. Ces réussites témoignent du pouvoir collectif qui est le nôtre et que nous devons exercer pour faire progresser l’ODD 4. De leur côté, les organisations internationales oeuvrent activement à l’élaboration de nouveaux objectifs et cibles adaptés aux défis complexes de notre époque.
Par ailleurs, les méthodes visant à garantir la reddition des comptes ne favorisent pas nécessairement la réussite de l’ODD 4. Dans certains pays, il est de plus en plus courant, sous prétexte d’améliorer la qualité de l’enseignement et de l’apprentissage, de sanctionner les enseignants et les établissements en cas de taux de réussite insuffisant aux examens. Cette méthode doit toutefois être appliquée avec la plus grande prudence pour éviter des retombées négatives inopinées.
De multiples données confirment que la tenue d’épreuves « couperet » et l’adoption de systèmes de notation très stricts peuvent favoriser la manipulation du système, avec des conséquences négatives sur l’apprentissage et au détriment des populations marginalisées. Il est indispensable de recueillir des données sur les résultats d’apprentissage, afin de mieux cerner les facteurs d’inégalité en matière d’éducation. L’élaboration de rapports détaillés exige toutefois du temps, des ressources et des compétences dont peu de pays disposent, ce qui rend le risque d’erreur d’autant plus élevé.
La notion d’obligation de rendre des comptes implique une capacité d’action en cas de difficulté, par le biais des politiques, de la législation et du plaidoyer, notamment par l’intervention de médiateurs chargés de défendre les droits des citoyens. Nous devons instaurer des mécanismes plus rigoureux à tous les niveaux, afin de consacrer et de faire respecter le droit à l’éducation, et de garantir que l’ensemble des gouvernements, notamment les donateurs, honorent leurs engagements.
L’expression « rendre des comptes » revient régulièrement dans le cadre d’action Éducation 2030, signe de l’importance accordée par l’UNESCO et par la communauté internationale au suivi et à l’évaluation, en vue d’accélérer et de contrôler les progrès. Cela signifie également que tous les pays devraient publier des rapports nationaux de suivi sur l’éducation et rendre compte des progrès accomplis dans la mise en oeuvre de leurs engagements. À l’heure actuelle, presque la moitié des pays seulement publient ces rapports, la plupart de manière irrégulière. Rendre des comptes consiste à interpréter les données, à repérer les écueils et à mettre au point des solutions. Tous nos efforts en faveur d’une éducation équitable et de qualité pour tous doivent s’articuler autour de cette pratique.
Irina Bokova
Directrice générale de l’UNESCO