Obligation de rendre des comptes des enseignants
Les enseignants sont les principaux responsables de l’éducation des élèves et sont soumis à une pression croissante dans de nombreux pays. La complexité et la diversité de leur tâche les mettent parfois face à des priorités contradictoires. Il est alors plus difficile de cerner précisément leurs responsabilités.
L’APPORT D’UN ENSEIGNEMENT DE QUALITÉ CONSTITUE LA PRINCIPALE RESPONSABILITÉ DES ENSEIGNANTS
Dans la plupart des pays, les enseignants consacrent la majeure partie de leur temps de travail à l’enseignement lui-même. Mais leur tâche ne se limite pas toujours aux domaines d’apprentissage principaux et peut inclure la transmission de compétences transversales, sociales, comportementales et émotionnelles. Les enseignants interrogés dans le cadre de l’Enquête internationale sur l’enseignement et l’apprentissage (TALIS) consacrent en moyenne près de deux heures par semaine aux activités extrascolaires. Cette durée varie d’une heure en Suède à huit heures au Japon.
Les enseignants interrogés dans le cadre de l’Enquête internationale sur l’enseignement et l’apprentissage consacrent en moyenne près de deux heures par semaine aux activités extrascolaires
Les enseignants doivent également assumer des responsabilités souvent non reconnues ou appréciées, ce qui peut les décourager.
Selon une étude réalisée au début des années 2000 dans six pays à revenu faible et intermédiaire, le taux d’absentéisme moyen des enseignants était de 19 %. On observera toutefois que l’étendue de la responsabilité des enseignants en la matière est souvent exagérée. Au Sénégal, entre 2007 et 2014, les élèves ont bénéficié en moyenne de 108 jours de classe sur les 188 que compte le calendrier scolaire officiel. La plupart des cas d’absentéisme relevaient de motifs hors du contrôle de l’enseignant (figure 6). En Indonésie, l’absentéisme concernait 10 % des enseignants du primaire en 2013-2014. La moitié de ces absences était autorisée pour cause de travail personnel.
L’ÉVALUATION DE LA QUALITÉ DU TRAVAIL DES ENSEIGNANTS EST PROTÉIFORME ET PARFOIS COMPLEXE
L’efficacité des stratégies de reddition de comptes dépend pour beaucoup de la confiance du gouvernement et du public vis-à-vis de la profession d’enseignant, et de celle des enseignants à l’égard de la procédure d’évaluation.
En Finlande, les enseignants élaborent et gèrent eux-mêmes leurs politiques relatives à l’obligation de rendre des comptes, signe de la confiance mutuelle qui existe entre les parties prenantes. En revanche, au Japon, les sous-performances enregistrées dans les évaluations internationales ont dégradé la confiance vis-à-vis de la profession. Cela s’est traduit par une augmentation des dispositifs de responsabilité externes et des obligations de compte rendu des enseignants, dont la charge de travail hebdomadaire avoisinait déjà 54 heures en moyenne.
À l’origine, le recours aux contrats d’enseignement de courte durée devait être une mesure ponctuelle visant à pallier le manque de personnel enseignant. Cependant, ces contrats sont de plus en plus utilisés comme outil de reddition de comptes lorsque la confiance est dégradée, la perspective du (non-)renouvellement du contrat incitant les enseignants à améliorer leurs performances. La pénurie de postes titularisés entraîne souvent une augmentation de la charge de travail du personnel, une baisse des financements publics et une altération des droits des organisations et des personnels. Bien souvent, les enseignants sous contrat de courte durée sont sous-qualifiés, sous-payés et ne bénéficient d’aucun accompagnement.
L’efficacité des stratégies de reddition de comptes dépend pour beaucoup de la confiance des enseignants à l’égard de la procédure d’évaluation
L’OBLIGATION DE RENDRE DES COMPTES DES ENSEIGNANTS EST SURTOUT ASSURÉE PAR LE BIAIS D’ÉVALUATIONS FORMELLES
La plupart des pays ont recours à diverses méthodes d’évaluation des personnels enseignants. Les évaluations au moyen d’observations en classe concernaient 96 % des enseignants des pays – pour la plupart à revenu élevé – ayant participé à l’enquête TALIS 2013. Les séances d’observation sont généralement effectuées par la direction ou par des membres de l’équipe d’encadrement et répondent à différentes finalités. À Singapour, elles sont principalement utilisées aux fins de formation ; en Israël, elles entrent en ligne de compte dans l’avancement. Les barèmes utilisés aux États-Unis ne distinguent souvent pas bien les compétences attendues des enseignants. Pour que cette méthode soit fiable et utile, les observateurs doivent fournir aux enseignants un retour détaillé s’accompagnant d’objectifs réalisables. Les observateurs formés et eux-mêmes spécialisés dans la discipline et la pédagogie (notamment les autres enseignants) fournissent des retours plus complets.
Dans l’enquête TALIS 2013, 83 % des enseignants ont indiqué que l’évaluation par les élèves faisait partie du processus global d’évaluation. Cette méthode suppose que les élèves soient capables de porter un jugement correct et sincère sur la qualité de l’enseignement. Sa fiabilité dépend étroitement de la finalité et du modèle de l’évaluation et peut pâtir d’un manque d’objectivité.
En France et en Italie, les enseignants dont la notation était plus généreuse recevaient de meilleures appréciations. Le sexe de l’enseignant peut également influer sur la perception des élèves.
Toujours selon l’enquête TALIS 2013, les notes des élèves sont l’élément le plus fréquent à partir duquel sont évalués les enseignants (97 %). Toutefois, de nombreux autres facteurs, tels que le programme scolaire, les capacités des élèves, l’investissement des parents, la culture et les ressources de l’établissement, entrent également en ligne de compte dans les résultats. Ces derniers ne suffisent pas pour apprécier avec fiabilité l’efficacité d’un enseignant. Certains modèles d’évaluation plus approfondis utilisent de multiples sources d’information, ce qui peut s’avérer complexe dans les systèmes aux ressources insuffisantes.
L’évaluation des enseignants comporte de plus en plus d’enjeux. Les partisans de cette approche de reddition de comptes, qui voient dans l’évaluation une solution efficace aux difficultés perçues en matière d’éducation, partent généralement du principe que : a) tous les acteurs de l’éducation conviennent des résultats attendus pouvant être mesurés avec précision ; b) les responsabilités sont clairement définies et communiquées, et les acteurs responsables sont capables d’obtenir par eux-mêmes les résultats souhaités ; c) des mesures d’incitation ciblées encourageront les pratiques menant aux résultats voulus.
Cependant, la rémunération axée sur la performance n’a qu’un effet mitigé sur les résultats d’apprentissage et peut être préjudiciable à l’équité. En outre, elle tend à favoriser la concurrence entre les enseignants, ce qui, contrairement à son intention, est source de démotivation. Selon plusieurs recherches, cette situation touche davantage les enseignantes que leurs collègues masculins. Dans les pays riches aux systèmes très exigeants, l’évaluation des enseignants ne contribue que partiellement à l’amélioration de l’enseignement. Le manque de retour utile et spécifique et la priorité accordée au suivi au détriment de l’amélioration peuvent générer une frustration chez les enseignants et amener nombre d’entre eux à ne considérer l’évaluation que comme une tâche purement administrative.
La fiabilité de l’évaluation des enseignants par les élèves dépend étroitement de la finalité et du modèle de l’évaluation et peut pâtir d’un manque d’objectivité
Les systèmes éducatifs axés sur l’obligation de rendre des comptes ne préparent pas suffisamment les enseignants
De toute évidence, les responsabilités liées à la gestion et à l’enseignement reviennent de plus en plus aux établissements. Cette tendance, à laquelle vient s’ajouter l’introduction de systèmes de reddition de comptes plus stricts, augmente la charge de travail des enseignants et des chefs d’établissement et exige d’eux de nouvelles compétences, ce qui peut générer des frustrations. Au Royaume-Uni, par exemple, 56 % des enseignants estiment que la collecte et la gestion des données constituent un travail inutile.
Les enseignants doivent acquérir les compétences nécessaires pour évaluer la performance des élèves, analyser les données et s’en servir pour adapter leurs cours, mais nombreux sont ceux qui se sentent insuffisamment préparés à l’utilisation des données. Une étude réalisée aux États-Unis montre que les deux tiers des enseignants ne disposent pas des moyens nécessaires pour exploiter les données leur permettant d’améliorer leur activité et jugent souvent leur quantité excessive.
Les pays à revenu élevé sont désormais très nombreux à inclure davantage la gestion des données dans la formation des enseignants et des directeurs d’établissement, ainsi que dans les programmes de formation professionnelle continue. Toutefois, ces derniers se concentrent généralement sur la compréhension de rapports ; très peu forment les enseignants à l’utilisation concrète des données et à leur application à l’enseignement. En outre, ces programmes sont souvent axés sur les technologies plutôt que sur les compétences d’utilisation et de gestion des données.
Le fait de minimiser la duplication de la collecte des données permet d’alléger la tâche des enseignants et des chefs d’établissement. L’utilisation croissante des données dans la gestion de l’éducation soulève néanmoins des questions plus générales. Tout d’abord, l’idée que l’on peut améliorer l’enseignement de façon programmée ne tient pas compte des composantes socioculturelles de l’éducation. Ensuite, l’importance accordée aux résultats d’apprentissage pouvant faire l’objet d’un suivi risque d’avantager surtout le système de responsabilité, lui-même fondé sur un ensemble d’acquis très limité. C’est pourquoi il faut se garder de prendre ces données pour argent comptant en dépit de leur utilité. Celles-ci devraient être davantage utilisées aux fins de diagnostic.
LA RESPONSABILITÉ PROFESSIONNELLE PEUT CONTRIBUER À TRANSFORMER LA CULTURE DE L’ENSEIGNEMENT
La responsabilité professionnelle reflète la mobilisation des enseignants et repose sur leur expertise et leur professionnalisme. Les systèmes recourant à la responsabilité professionnelle supposent généralement la confiance du public dans la capacité des enseignants à assurer une éducation de qualité.
L’apprentissage par les pairs contribue à améliorer la qualité de l’enseignement. Les communautés d’apprentissage professionnelles favorisent l’apprentissage collaboratif, notamment grâce à l’échange des retours d’expérience entre pairs. Elles sont présentes en majorité dans les pays à revenu élevé et intermédiaire. Le modèle de préparation de cours Lesson Study est utilisé en Australie, aux États-Unis, à Hong Kong, au Japon, au Royaume- Uni, à Singapour et en Suède : les enseignants planifient ensemble les cours, s’observent mutuellement lors des séances d’enseignement et analysent les données obtenues, afin d’améliorer leurs pratiques et l’apprentissage par les élèves. En Angleterre, ce modèle a favorisé la prise de risque didactique et brisé le sentiment d’isolement des enseignants. Pour être efficace, l’apprentissage par les pairs exige une autonomie de la part des enseignants, ainsi que du temps et des ressources considérables.
La plupart des pays se sont dotés de codes de déontologie élaborés par les enseignants. Il s’agit d’un ensemble formalisé de normes professionnelles servant de lignes directrices aux enseignants et reposant sur l’autodiscipline. Un examen des codes de déontologie de 24 pays a révélé que ceux-ci étaient inconnus de nombreux enseignants.
L’absence de mécanismes d’application clairs risque également de peser sur l’efficacité. Les mécanismes de compte rendu et les sanctions ne sont pas toujours définis. Les personnes chargées d’évaluer les fautes doivent recevoir une formation.
LES CITOYENS PEUVENT AIDER LES ENSEIGNANTS À ASSUMER LEURS RESPONSABILITÉS
Le suivi par la communauté peut contribuer très utilement à limiter l’absentéisme des enseignants. En Ouganda, les communautés ont créé des carnets de notes à l’intention des enseignants pour réduire l’absentéisme. Toutefois, les parents ne peuvent veiller à la responsabilité des enseignants sur le long terme. Au Kenya, les gains d’apprentissage du suivi et de l’évaluation des enseignants par les parents ont disparu un an après la fin de l’intervention.
Davantage de pays se tournent désormais vers la technologie pour assurer le suivi des enseignants, malgré les inquiétudes relatives à l’intrusion et à l’impact de telles méthodes sur la confiance. Le Pakistan a ainsi contrôlé la présence de plus de 210 000 personnels de l’éducation dans 26 200 établissements grâce aux données biométriques. En février 2017, 40 000 enseignants ayant fait preuve d’absentéisme et 6 000 « déserteurs » avaient été sanctionnés. En Chine, des milliers de salles de classe sont filmées en temps réel, afin que les parents et le public puissent suivre et commenter les pratiques des enseignants et le comportement des élèves. Ces méthodes ne font pas l’unanimité et d’aucuns craignent que cette surveillance continue ne viole le droit à la vie privée des enseignants comme des élèves et exerce une incidence négative sur l’enseignement.
La situation socioéconomique, les capacités individuelles et l’attitude des enseignants influent également sur le suivi. Les familles défavorisées manquent souvent des compétences, des connaissances ou de la confiance en soi nécessaires pour communiquer avec les enseignants. Pour que ce modèle réussisse, les membres de la communauté et les enseignants doivent collectivement fixer les critères et élaborer les dispositifs de reddition de comptes, en veillant à définir clairement les rôles et les responsabilités.
Un examen des codes de déontologie de 24 pays a révélé que ceux-ci étaient inconnus de nombreux enseignants